L’affaire de la Tapounelle…

Je vous ai déjà raconté plusieurs chroniques sur Saint Ilpize, ici et

Voici, aujourd’hui, une nouvelle histoire : L’affaire de la Tapounelle !Dont voici le récit :

LA SEIGNEURIE DE SAINT ILPIZE :

Entre le XIVe et le XVIIe siècle, la localité de Saint Ilpize a une très grande vitalité. Située sur les rives escarpées de la rivière Allier, c’est une forteresse qui domine et permet à ses possesseurs de contrôler toute la vallée.

Noble Emo cède la seigneurie de Saint Ilpize en 1201 au Dauphin d’Auvergne. En 1262, Robert 1er assigne la seigneurie à son second fils. Les enceintes du château sont imposantes au point que la ville compte près de 5 000 habitants au XIVe siècle !

La prospérité des lieux se propage jusqu’au XVIIe siècle.

Après avoir subi les outrages de la Guerre de Cent ans où la ville est pillée et brûlée par Thomas de la Marche allié au non moins célèbre Seguin de Badefol, la seigneurie échoit par mariage à Guy d’Amboise pour passer ensuite dans les familles de Luxembourg de Roussy, de Larochefoucault, de Langeac et terminer chez les d’Espinasse en 1698.

Siège d’une prévôté royale en 1781, le château est vendu à la Révolution.

UNE CHAPELLE EST CONSTRUITE A TAPON :

Cassini

Aux côtés de la « grande ville » de Saint Ilpize, à quelques encablures, se trouve le village de Tapon qui compte entre 300 et 400 âmes. Les chemins pour se rendre à Saint Ilpize sont forts malaisés et comportent de nombreux obstacles. Les paroissiens lassés de l’obligation de parcourir régulièrement ces pénibles sentiers sollicitent l’autorisation de construire un lieu de culte.

De généreux donateurs tels qu’Antoine Portal, Antoine et Gilbert Pastourel et bien d’autres donnent 27 livres pour la célébration des messes les dimanches et jours de fête dans le futur bâtiment.

Après bien des vicissitudes, l’évêché leur donne l’autorisation d’édifier une chapelle en 1647.

Dédiée à Saint-Roch, le nouvel édifice est inauguré le 23 novembre 1650 par M. Jean-Baptiste Dorcival, délégué de l’évêque de Saint- Flour. La première messe y est célébrée. Mais un litige oppose le prêtre et sacristain de l’église de St-Ilpize, en la personne de M. Antoine de Vazeille, chanoine régulier de Saint Augustin en l’Abbaye de Pébrac, et les habitants de Tapon. La réception d’offrandes et de cire de reynage par la chapelle de Tapon ne convient pas à l’homme d’église.

Finalement, un accord est trouvé devant Jacques Fournier, tabellion de St-Ilpize, le 25 novembre 1657.  Les Taponais perdent la partie et sont mis dans l’obligation de verser, chaque année au mois d’août, une somme de trois livres au sacristain de St-Ilpize. Cette décision leur permet de conserver les offrandes reçues.

Mais la célébration des messes n’a lieu que les dimanches d’hiver, ce qui ne convient pas aux paroissiens de Tapon. Le 9 avril 1729, ils présentent une requête à l’évêque de St-Flour, Monseigneur Joaquim d’Estaing, afin que l’office dominical soit célébré les dimanches et jours de fête tout au long de l’année.

Après enquête, M. Chalvon, Curé de la paroisse de Saint-Jean de Brioude délivre une ordonnance le 2 juin 1729 par laquelle les messes seront bien célébrées comme demandé moyennant chaque année, pour les habitants de Tapon, de payer la somme de 80 livres au prêtre desservant la chapelle.

Les gens font fondre une cloche qui dorénavant va faire partie de leur quotidien. Cette dernière est bénite le 18 mai 1732 par M. Lamothe alors curé de St-Ilpize et va obtenir de la notoriété sous le nom de « Tapounelle »

La réputation de la chapelle de Tapon arrive jusqu’à Rome où le Pape Clément XII établit deux bulles la concernant. La première accorde une indulgence de 7 ans (9 août 1734), puis une indulgence perpétuelle (31 janvier 1735) à tous ceux qui visiteront la chapelle selon des postures bien déterminées.

Et  jusqu’à la Révolution les choses vont bien se passer.

LA REVOLUTION PASSE PAR LA :

La chapelle est habitée par un particulier, et l’on considère qu’il est convenable d’en sortir la cloche. Le bâtiment est désaffecté et la cloche, d’abord suspendue à un arbre, est mise à l’abri sous un hangar.

Suite aux décrets de 1792 et 1793 relatifs au mobilier des églises désaffectées, la « Tapounelle » est attribuée à St-Ilpize et va être placée dans le clocher de l’église du chef-lieu de la paroisse.

Les Taponais sont mécontents de cette décision car ils gardent le secret espoir de rétablir la chapelle dès que les circonstances deviendront meilleures.

En 1834, à St-Ilpize, le clocher est déplacé dans le donjon du château après consolidation de la tour. Les Taponais semblent avoir oublié leurs intentions sur le devenir de leur cloche.

Mais en 1848, on reconstruit, vraisemblablement dans la précipitation, la chapelle de Tapon et comme il se doit les habitants du village revendiquent la restitution de leur cloche.

Les Ilpidiens sont peu enclin au retour de la « Tapounelle » au bercail ; furieux, les Taponais mènent une opération « manu militari » pour récupérer l’objet du litige.

Cette manœuvre n’est pas du goût des gens de St-Ilpize et sous la houlette du commandant de la Garde Nationale de Brioude, une force armée fait irruption à Tapon et de gré ou de force, récupère la « Tapounelle » qui est ramenée à St-Ilpize après avoir au préalable emprisonné quelques malheureux de Tapon.

Hélas pour les Taponais, la rapidité de construction de la chapelle a entraîné des malfaçons, au point que la voûte de la chapelle s’écroule. Ce nouvel épisode rend caduque le retour de la cloche à Tapon.

Grâce au volontariat des Taponais, la construction de la chapelle est terminée en 1875. L’année suivante, l’évêque du Puy accorde la célébration d’une messe mensuellement et le jour où l’on célèbre la fête patronale à l’occasion de la Saint-Roch.

Mais toujours pas de cloche au clocher !

LES ILPIDIENS TIENNENT A CONSERVER « LA TAPOUNELLE »

A St-Ilpize, les autorités civiles et religieuses tiennent à conserver la « Tapounelle ».

En 1877, soixante chefs de famille de Tapon présentent une pétition au Préfet de la Haute-Loire pour réclamer leur cloche et avant d’agir ils saisissent le Conseil Municipal et le Conseil de Fabrique.

Pour soutenir leur cause, les Taponais proposent de participer largement à l’acquisition d’une cloche pour remplacer leur « Tapounelle » dans le clocher de St-Ilpize.

Malgré cette offre, le 8 avril 1877, on tient un Conseil Municipal Extraordinaire ; les élus communaux considèrent que la moyenne partie des habitants de la commune de St-Ilpize, s’oppose au déplacement de la cloche, la majorité du Conseil suit cette opposition et vote pour ne pas prendre la demande en considération.

Le Conseil de Fabrique, composé de six membres, délibère sur le sujet le 28 avril 1877 ; trois reconnaissent la légitimité de la demande des gens de Tapon et les trois autres sont d’un avis contraire. Parmi ces trois opposants se trouve le Président dont la voix est prépondérante, et on a bien des difficultés à exploiter la décision du Conseil.

Le 22 juillet 1877, les conseillers municipaux maintiennent fermement leur position : on garde la « Tapounelle » à St-Ilpize !

Par exploit d’huissier daté du 10 octobre 1878 présenté au curé de St-Ilpize, détenteur des clés du clocher, les Taponais l’informent qu’ils vont faire opérer, deux jours plus tard, à la récupération de la cloche. Mais l’opposition et la résistance des Ilpidiens sont d’une telle force que les Taponais cèdent à la vindicte.

Le Conseil Municipal de St-Ilpize réexamine la demande des Tapenais le 18 février 1878 ; le refus de restituer la « Tapounelle » est confirmé.

DEVANT LA JUSTICE

Jean Chapaveyre, Trésorier du Conseil de Fabrique est assigné à comparaître le 9 avril 1878 devant le Tribunal Civil de Brioude. Huit jours, plus tard, c’est le Maire,  Jules Pierre Trouillier qui est convoqué.

Ni l’un, ni l’autre ne se présentent à la barre. Par défaut, ils sont condamnés à restituer la cloche par jugement du 28 mai 1878. Les élus communaux contestent le jugement et après bien des vicissitudes, l’affaire est jugée aux audiences des 12 et 13 mars 1879.

Par jugement contradictoire du 30 avril 1879, les Taponais sont déboutés et l’on fait droit à la municipalité de St-Ilpize ; mieux encore, les Taponais sont condamnés aux dépens et ils en sont pour 697 francs et quelques centimes de leur poche.

Rien de tel pour chauffer les esprits et inciter les Taponais à se faire justice…

Par une nuit noire, deux revanchards se faufilent dans les rues de St-Ilpize, grimpent au clocher et frappent furieusement la « Tapounelle » au point de la fêler. Et c’est ainsi que la cloche perdit toute sa résonnance et tous les bienfaits qui lui étaient attribués.

Si la « Tapounelle » annonçait les évènements qu’ils furent joyeux ou parfois bien tristes, lorsque le ciel était noir, prémices de grêle et d’orage, les Ilpidiens la faisaient sonner à toute volée, et pour cause, les battements de la « Tapounelle » avaient, parait-il, le pouvoir de détourner la tempête vers d’autres cieux sauvant ainsi les récoltes des méfaits des intempéries !

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LES HABITANTS DE TAPON SONT TENACES (1848)

En 1848, le village de Tapon comprend 48 foyers et près de 300 habitants.Une cinquantaine d’entre eux sauf François Marcon du lieu de Seniqueute se rendent
chez Maître Regourd notaire à Villeneuve d’Allier pour procéder à l’établissement de
l’acte de création d’une « Société » .Daté du 27 juin 1848, l’acte officiel apporte toutes les précisions sur la constitution de la
société, sur son financement et les conditions de construction de la chapelle (dimensions,
matériaux …etc..).Les « nouveaux actionnaires » font valoir « que le village de Tapon possédait une chapelle
pour l’invocation de Saint Roch et qu’elle était desservie au moyen des revenus de certaines
propriétés ». Ils rappellent que l’éloignement du chef-lieu de la paroisse, les mauvais chemins ,
« d’autres raisons encore » et que le besoin de rétablir la chapelle se fait de plus en plus pressant.L’acte précise que la chapelle sera construite sur la place publique du village située au
Coudert-Haut et que le capital de la dite société est d’un minimum de 1 800 francs.Outre l’apport en argent, « les actionnaires de bonne volonté » accorderont des journées
de prestations en nature et pourront concourir aux travaux de main d’œuvre.La société sera administrée par un Conseil (ou comité) d’agence composé de 5 membres choisis
parmi les actionnaires.
Les actionnaires

  • Belmont Antoine
  • Pastourel Pierre
  • Brun Pierre
  • Fournier Antoine oncle
  • Fournier Antoine neveu
  • Delomenède gendre de Vital Jouve
  • Trioullier Cirgues
  • Trioullier Gabriel
  • Gaspard Michel
  • Augier Jean Baptiste
  • Pastourel Cirgues André
  • Bonafoux Jean
  • Pireyre Jean, Trésorier de la société
  • Tourette Vital représentant défunt Dominique Tourette son père
  • Pagès Jean dit « Paysan »
  • Lazinier Vital
  • Lazinier Antoine dit « Jouzet »
  • Roche Pierre
  • Clément Vital
  • Delorme Vital, Membre du conseil d’agence
  • Souliagoux Guilhaume
  • Robert Jean père, Syndic du Conseil d’agence
  • Chantel Pierre
  • Ramain Jean, gendre Grellat
  • Ramain Vital dit « Galat »
  • Delomenède Cirgues
  • Triouillier Vital, dit « Le Faure »
  • Vigouroux Vital
  • Vigouroux Antoine dit « Blaise »
  • Tixier Vital
  • Ramain Pierre dit « Ponceton »
  • Roche Guilhaume
  • Tixier Gilbert dit « Garrigue »
  • Portal Pierre neveu
  • Gaspard François
  • Bourleyre Pierre, Membre du Conseil d’agence
  • Delomenède Pierre dit « Le Tailleur »
  • Belmont Pierre
  • Rigaud Jacques
  • Ramain Noël
  • Vigouroux Antoine dit « L’Ombret »
  • Triouillier André
  • Lacombe Jean
  • Saby Jacques
  • Rigaud Vital dit « Bioulaigue »
  • Chicoutel Antoine
  • Duffaud Jean « jeune », Président du Conseil d’agence
  • Portal Antoine
  • Esculier Pierre
  • Roche Vital
  • Triouillier Vital
  • Veyrière Pierre
  • Frugier Jean
  • Boyer André
  • Duffaud Jean aîné
  • Ramain Jean-Baptiste dit « Ponceton »
  • Triouillier Anne
  • Marcon François du village de Seniqueute

 

 


SOURCES & BIBLIOGRAPHIE:

Avec l’aimable autorisation de Raymond CAREMIER : http://gw.geneanet.org/symi43

Archives Départementales de la Haute-Loire :

  • Création d’une société pour la construction d’une chapelle dédiée à Saint-Roch au hameau de Tapon – Cote 1J 874,
  • Châteaux de La Haute-Loire – Dix siècles d’Histoire – Maître d’Ouvrage Régis Thomas – Saint-Ilpize – Jacques Raflin – p 304 – Editions Watel (1993)
  • Abbé Julien Lespinasse – Chroniques du Brivadois – Un peu d’histoire locale – Edition « Almanach de Brioude » – 1965
  • Sites Internet :
  • Bibliothèque Nationale de France :
    • Almanach de Brioude et de son arrondissement : organe de la Société d’études archéologiques, historiques et littéraires de la région de Brioude – Les Seigneurs de Saint-Ilpize et le Cardinal Dominique de La Rochefoucauld – Georges Paul – 1924

      Septembre 2014

       


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mon Grand-père et la justice….

Semaine 3 – du 15 au 21 février : Une découverte que vous n’auriez pas pu faire sans vous rendre aux archives.

Ces services d’archives qui nous manquent tellement depuis des mois, rendons leur hommage en mettant en avant une découverte généalogique que nous n’aurions pas pu faire si nous n’étions pas allé leur rendre visite. Sans ce contrat de mariage, ou cette déclaration de succession, que nous avons dénichée dans une salle de lecture, tant de pistes nous resteraient fermées.

Pour l’occasion, je ressors un article écrit en 2014.

Dans mon billet : Découvrir les traits de caractère de ses ancêtres au travers des archives, je partageais une découverte concernant mon grand-père paternel, Jules Marly.

Pour rappel : mon aïeul avait été, par deux fois, condamné par le tribunal correctionnel de Laon pour coups & blessures et les sanctions pénales ont été  annotées sur sa fiche matricule militaire.

Evidemment, cela a attisé ma curiosité et j’ai voulu en savoir davantage sur ces condamnations.

J’ai donc profité de la période estivale pour me rendre aux Archives départementales de l’Aisne afin d’y consulter les archives judiciaires dans la  série U.

J’ai trouvé les procès-verbaux des deux jugements :

* Le premier datant du 22 mai 1896 :  Mon grand-père, 28 ans, et un acolyte, Prudent Fauchard, tous deux bouviers,  sont appelés à comparaître devant le tribunal de Grande Instance de Laon afin d’y être jugés pour coups & blessures volontaires sur la personne du Sieur Bleu (cela ne s’invente pas) en date du 2 février 1896.

Le greffier a fait lecture du procès-verbal et précise que Jules ne s’est pas présenté malgré plusieurs citations. Le tribunal donne défaut contre lui et ordonne qu’il soit passé outre aux débats.

La preuve étant faite de la culpabilité des deux prévenus : ils sont condamnés à huit jours d’emprisonnement pour coups & blessures volontaires sans qu’il en résulte une incapacité de travail de plus de vingt jours. Ils sont également condamnés aux dépens (frais de justice), soit : vingt quatre francs quatre vingt dix huit centimes.

* Le second datant du 2 mai 1903 : Jules, 35 ans, domestique comparait contre Félix Hemmery, débitant à Samoussy pour coups & blessures volontaires réciproques.

Les deux parties sont présentes ainsi que les témoins.

Après avoir délibéré, attendu que de l’information et des débats il ne résulte pas suffisamment la preuve que le 29 mars 1903, à Samoussy, le prévenu Hemmery a volontairement porté des coups et blessures au sieur Marly ; qu’Hemmery en se défendant contre Marly a repoussé ce dernier qui est tombé et s’est blessé à la tête. Que dans ces conditions, le délit de coups & blessures volontaires ne peut être retenu contre Hemmery.

Mais attendu que de l’information et de ses débats, il résulte suffisamment la preuve, que ledit jour et audit lieu, le prévenu Marly a volontairement porté des coups et fait des blessures au sieur Hemmery, sans qu’il en résulte pour ce dernier, une incapacité de travail de plus de vingt jours.

Attendu que ces faits constituent un délit par l’article 311 du code pénal,

(Petit rappel de l’article 311 : Lorsque les blessures ou les coups, ou autre violence ou voies de fait, n’auront occasionnés aucune maladie ou incapacité de travail personnel de l’espèce mentionnée en l’art. 309, le coupable sera puni d’un emprisonnement de six jours à deux ans et d’une amende de seize francs à deux cents francs, ou de l’une de ces deux peines seulement)

Par ces motifs, le tribunal acquitte Hemmery…

Déclare Marly coupable du délit de coups et blessures volontaires Condamne Marly à cinquante francs d’amende et aux dépens liquidés à vingt deux francs dix-huit centimes.

Le procès verbal précise que Hemmery était assisté d’un avocat, en la personne de Maître Baillet, avocat au barreau de Laon.

Curieusement, il n’est rien précisé concernant mon grand-père.

Quoi qu’il en soit,  les archives sont bavardes : outre les condamnations, j’ai  également appris que mon aïeul avait été bouvier et domestique.

Et ces deux procès-verbaux sont révélateurs  d’une facette de sa personnalité  : il était bagarreur et frondeur !

Personne n’est parfait !

Et vous, avez-vous trouvé des ancêtres « délinquants » ?

Sources : A.D Aisne – Série U : 50 U 81 – 50 U 108 – Image : Collection personnelle